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vendredi 16 novembre 2012

La reconnaissance

Cet article est une réponse à celui de mon collègue Sébastian Hell intitulé "Faux débat nationaliste".  Je dois avouer que ma position en ce qui concerne ce texte est plutôt mitigée.  Il y a des arguments avec lesquels je suis d'accord et d'autres avec lesquels je le suis moins, peut être même pas du tout.

Premièrement, pour affirmer que "la plupart des anglos de 15-35 parlent mieux le français que les francos l'anglais", même si ce n'était qu'un commentaire publié sur les résaux sociaux, il faut des sources.  Toutefois, si cela était exact, il s'agirait d'un argument falacieux: la comparaison ne tient pas.  Pour en arriver à une équivalence, il faudrait plutôt comparer le nombre de Québécois francopones maîtrisant l'anglais avec le nombre de Canadiens anglais hors-Québec maîtrisant le français ou le nombre de Québécois anglophones qui maîtrisent le français avec le nombre de Canadiens français hors-Québec maîtrisant l'anglais.

En ce qui concerne le moment de leur arrivée dans l'histoire qui serait plus ou moins le même que le nôtre, j'ai l'impression qu'il s'agit d'un terrain glissant vers lequel il ne faut pas faire dévier le débat.  Il y a une limite à remonter dans le passé et je crois que l'époque de la conquête et des guerres impériales n'a rien pour couvrir d'orgueil ni les francophones ni les anglophones.  Ce sont les premières nations qui en ont payé le prix.

Cependant, je crois que l'on perd souvent de vue que la relation que le Canada anglais entretient avec les Canadiens-français en est une de conquérants/conquis et colonisateurs/colonisés.  Par conséquent, au Québec, il ne s'agit pas d'une minorité opprimée, mais plutôt d'une minorité dont les privilèges se sont érodés au fil des décennies, au prix de luttes politiques difficiles menées par les mouvements sociaux qui ont émergés au cours de notre histoire, surtout a l'époque de la Révolution tranquille.

J'ai trouvé le tableau ci-dessous dans un livre intitulé Québec: au-delà de la Révolution tranquille.  On peut facilement déterminer quel était le groupe linguistique exerçait l'hégémonie à l'intérieur de la province à l'époque.  Je tiens aussi à attirer votre attention sur l'année, 1969, c'est à dire neuf ans après l'élection de Jean Lesage.
Tableau 26
Les grandes entreprises industrielles du Québec, 1969

Entreprise
Nombre d’employés
Secteur
Contrôle
Northern Electric
13 500
Électronique
Anglo-canadien
Alcan
12 200
Aluminium
Anglo-canadien et américain
Dominion Textile
10 500
Textile
Anglo-canadien
Canadian International Paper
9 800
Papier
Américain
Domtar
9 500
Papier
Anglo-canadien
Consolidated Bathurst
8 000
Papier
Anglo-canadien
Noranda
8 000
Mines
Anglo-canadien
Canadair
8 000
Aéronautique
Américain
Price
5 800
Papier
Anglo-canadien et britannique
United Aircraft
5 500
Aéronautique
Américain
Bombardier
4 000
Machinerie
Canadien-français
Sources : Comité de documentation du Parti québécois, La souveraineté et l'économie, Montréal, Éditions du Jour, 1970, p. 18 ; Maurice Saint-Germain, Une économie à libérer, Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, 1973, tableau XX, p. 110.
(Tiré de Gagnon et Montcalm; 1992, p. 144)

Cependant, je dois admettre que l'insécurité linguistique des québécois me dérange et que j'ai vraiment l'impression que nous sommes incapable d'adopter une attitude nous permettant de la vaincre.  Selon moi, il faudrait se tourner vers le concept de "reconnaissance" de Paul Ricoeur.  Étant donné que je suis présentement en dehors du Québec, je ne dispose que d'une version espagnole de la citation qui me vient à l'esprit et je la traduirais de la façon suivante: "À l'intérieur de la notion d'identité, il y a seulement l'idée de soi-même, alors que la reconnaissance est un concepte qui intègre directement l'altérité, qui permet une dialectique entre soi-même et l'autre.  La revendication de l'identité implique toujours quelque chose de violent par rapport à l'autre.  La quête de la reconnaissance, au contraire, implique la réciprocité" (Cité par Canclini; 1997).

Selon moi, une stratégie que l'on pourrait peut-être adopter, serait de reconnaître l'autre.  Cela impliquerait une volonté de compréhension plutôt qu'une volonté de se défendre, la reconnaissance des droits de l'autre, plutôt que la concession.  Toutefois, je crois que le fait que nous vivons dans une province francophone en position de faiblesse au coeur d'une relation coloniale avec un pays anglophone, auquel elle appartient, rend la tâche plutôt difficile et c'est d'ailleurs pour cela que je suis tout à fait d'accord avec ce que Sébastian affirme à propos de la situation des immigrants.

Nous ne pouvons pas réellement les blâmer si leur sentiment d'appartenance envers le Canada est plus grand que celui qu'ils ont envers le Québec.  D'une part, c'est à nous de résoudre nos problèmes identitaires qui, à mon sens, découlent d'un manque de confiance collectif envers nous-mêmes et, d'autres part, d'un refus historique d'assumer ce que nous sommes, de devenir indépendant, d'abandonner notre condition coloniale.  Le fait est que nous existons, nous ne sommes ni meilleur ni pire que les autres.  Toutefois, il faut le reconnaître, se reconnaître, mais aussi reconnaître les autres, qui ne sont ni meilleurs ni pires que nous le sommes.

Gagnon, Alain G. et Montcalm, Mary Beth (1992): Québec : au-delà de la révolution tranquille, bibliothèque numérique: "Les classiques des sciences sociales", Chicoutimi.

Néstor García Canclini,"El malestar en los estudios culturales", Fractal n° 6, julio-septiembre, 1997, año 2, volumen II, pp. 45-60.