Je vais me prêter ici à un exercice controversé qui consiste en une critique partiale d'une critique de théâtre que j'ai lue sur www.cyberpresse.ca, publiée le 1er juin 2011. Je dis qu'il s'agit d'un exercice controversé car il est risqué de critiquer une critique, d'autant plus si l'on connaît les gens qui en sont l'objet. Toutefois, en ce qui me concerne, il est nécessaire de m'exprimer sur le sujet parce que je trouve ce texte symptomatique d'un certain nihilisme post-moderne lassant qui règne sur le Québec et dont je tiens les médias de masse responsables en bonne partie.
La critique dont il est question ici, dont l'auteur est Alexandre Vigneault, traite d'une pièce de théâtre que j'ai eu l'opportunité de voir à Mexico, il y a de cela quelques mois, et qui a été présentée à Montréal dans le cadre de la dernière édition du Festival TransAmérique. Cette pièce, El Rumor del Incendio, qui consiste en un amalgame de genres qui appartiennent à la fois aux domaines de la fiction et des narrations qui ne se prétendent point fictives, cherche à reconstruire la vie de Margarita Urías Hermosillo afin de la comprendre elle, mais aussi de comprendre une époque qui pourrait paraître lointaine depuis une perspective post-9/11. Toutefois, il semble qu'au Québec on a souvent tendance à confondre distance et différence lorsqu'il s'agit d'histoire, ce dont je tiens - encore une fois - les médias de masses responsables en bonne partie.
L'exercice auquel se prêtent Luisa Pardo et Gabino Rodríguez, deux des principaux artisans de cette pièce, est beaucoup plus risqué que celui auquel je me prête en ce moment. En effet, il se trouve que Margarita Urías Hermosillo était la mère de Luisa. Il s'agit donc d'une œuvre encore plus partiale que ma critique.
Aujourd'hui, Luisa fait du théâtre alors qu’autrefois sa mère s'était enrôlée dans une des nombreuses guerrillas mexicaines. El Rumor del Incendio est donc le fruit d'une labeur de recherche historique, généalogique, sociologique et politique dont le résultat consiste en un documentaire scénique qui permet au public, mexicain du moins, de réintégrer des éléments qui semblaient être disparus de la mémoire collective.
Entre autre, il est surprenant de voir de quelle façon l'usage ou non de la violence à des fins révolutionnaires ou de lutte contre l'oppression était objet de débat, contrairement à aujourd'hui, où un consensus malsain sur le sujet nous oblige à l'apathie, même lorsque l'on se heurte aux pires injustices, que ce soit venant de l'État ou venant de grandes corporations qui arrachent nos ressources et notre plus-value. Il semble que notre consensus autour de la non-violence aille de pair avec le leur autour de l'usage de la violence, surtout depuis le 11 septembre 2001.
Quoique, dans le cas québécois, ce consensus autour de la non-violence régnerait peut-être depuis l'assassinat de Pierre Laporte. En ce sens, il est intéressant de lire l'article de Pierre Foglia, Le passé qui ne passe pas, dans lequel le chroniqueur nous parle de l'ambiance « d'exaltation » dans laquelle baignait le Québec avant qu'on trouve le cadavre du ministre. En fait, cet article de Pierre Foglia et El Rumor del Incendio ont cela en commun : malgré la distance, les deux documents nous rappellent certaines choses que l'histoire officielle voudrait effacer à tout prix.
Je reviens donc à la critique d'Alexandre Vigneault sur cette pièce de théâtre mexicaine. Ce qui me dérange, ce n'est pas qu'il ne l'aie pas aimé, c'est plutôt qu'en lisant son article, j'ai l'impression de lire le triomphe de l'histoire officielle. Son texte est imbibé d'un mauvais usage du structuralisme prôné à outrance dans les universités québécoises. J'ignore l'université à laquelle ce critique a étudié, mais je me souviens que, lors de mes années de Baccalauréat à l'Université de Montréal, on me tapait sur les doigts sitôt que j'essayais d'aborder le contexte et l'auteur dans un travail d'analyse littéraire. Pourtant, je suis toujours aussi convaincu que l'on en sait jamais trop sur l'auteur et son contexte lorsque l'on essaie de comprendre son œuvre. Je me suis même aperçu que cela rendait la lecture plus passionnante ou moins ennuyante, selon le cas.
Ce qui me dérange, c'est cette plainte : « Or, ce que l'on constate vite, c'est que cette masse d'information est livrée dans une orgie de dates, de lieux, d'acronymes et de noms qui finit par avoir raison de notre indignation et même de notre compassion ». Afin de savoir si elle est légitime ou non, je crois qu'il faut nous questionner sur la fonction de la critique artistique et se demander si celle-ci doit nous indiquer si aller ou non voir une œuvre ou si elle doit plutôt nous apporter un point de vue susceptible d'enrichir notre expérience, peu importe si celle-ci sera positive ou négative. Selon moi, il est clair que c'est la deuxième option qui obtient mon vote, mais lorsque je lis l'article d'Alexandre Vigneault, j'ai l'impression que lui, ainsi que son employeur, penchent plutôt en faveur de la première.
Pourquoi cette « orgie de dates, de lieux, d'acronymes et de noms »? Il me semble qu'un critique de théâtre, de par sa position privilégiée que lui octroie sa profession, pourrait très bien formuler cette question aux artistes qui présentent cette pièce. Malheureusement, la routine du métier de critique d'art ne semblent pas lui donner le temps de comprendre; il faut lui donner l'information à la petite cuillère, déjà cuisinée et mastiquée. Et l'on se surprend de la stérilité culturelle de notre époque...
Ensuite, Alexandre Vigneault en a contre « les tirades informatives et ces lectures mécaniques de lettres personnelles qui auraient pu s'avérer touchante ». Pour ma part, j'aurais peut-être crier au sacrilège si ces lettres avaient été lues sur un ton mélodramatique, aussi subtil eu-t-il été. C'est peut-être ma lecture d'Agota Kristof qui m'a trop convaincu qu'il n'était pas nécessaire que les émotions soient formulées par l'émetteur afin qu'elles soient ressenties par le récepteur.
Toutefois, pour apprécier pleinement ce choix de style de la part de Lagartijas Tiradas al Sol, je crois qu'il faut en savoir plus sur le contexte de production de l'oeuvre. En effet, si l'on croit que le Mexique est un État pas si pauvre que ça, pas si anti-démocratique que ça et pas si violent que ça, on serait en droit de s'attendre à une narration au ton chaleureux. Sauf que, quand on sait que ce pays est submergé dans une violence inimaginable, que les mouvements sociaux y sont de plus en plus stigmatisés, que l'État trouve chaque jour de nouvelles justifications pour utiliser la force et que la pauvreté provoque un des exodes les plus importants sur la planète, on commence à comprendre un peu plus le sens d'utiliser un ton aussi froid. Selon moi, cette voix constitue la métaphore d'une société qui se désensibilise chaque jour un peu plus.
Le critique se défend en disant que « émotion et pensée ne sont pas des antagonismes : en appeler aux affects peut permettre d'entrer dans l'intellect par la grande porte comme en a déjà fait la preuve la compagnie de théâtre documentaire montréalaise Porte-parole ». Je ne connais malheureusement pas le travail de cette compagnie de théâtre, mais pourquoi diantre Lagartijas Tiradas al Sol devraient-ils essayer de reconstruire la vie de Margarita Urías Hermosillo en copiant le style de Porte-parole? De toute façon, lorsque j'ai vu cette pièce, la froideur et l'aspect mécanique de la façon de parler des personnages ont été précisément les éléments qui ont suscité en moi « indignation », « compassion », mais surtout, une envie d'agir contre ce passé qui mitraillait le public. Selon moi, l'émetteur n'a pas besoin de ressentir pour faire ressentir. Je dirais même que, dans la plupart des cas, il est préférable que celui-ci ne ressente pas à ma place.
Il y a autre chose qui m'écorche dans cette phrase. J'y trouve un prélude au climax de l'article que je ne voudrais pas vendre tout de suite. En effet, j'y entrevois quelque chose entre les lignes du genre « on n'a pas besoin que ces étrangers viennent faire ce genre de théâtre ici. Chez nous, on a des gens qui en font et du bien meilleur »; un peu comme si cette troupe et cette pièce n'avait rien à nous apporter de nouveau.
Pourtant, lorsque j'ai vu cette expérience théâtrale qui, au Mexique, a éveillé tant de souvenirs dans le public, qui ont même fait l'objet d'un débat-conférence ayant eu lieu environ une semaine après les représentations, mon premier réflexe a été de me demander si, au Québec, nous avions une quelconque expérience similaire qui aurait pu entrer en dialogue avec la pièce de théâtre. Peut-être que pour plusieurs québécois, la réponse serait non. Toutefois, en ce qui me concerne, je me suis rappelé de ce texte de Foglia mentionné plus haut. Dans les deux documents on trouve l'évocation d'une « exaltation ». Il y a ensuite un certain événement qui met fin à cette exaltation et qui semble laisser place à une terrible angoisse, un certain repentir même...
Autant au Mexique qu'au Québec, on dirait que l'on vit une interminable gueule de bois depuis 1980. C'est partout pareil vous dites? Non. En Bolivie, ce n'est pas précisément cette ambiance qui règne. Même au Vénézuela, où la Révolution Bolivarienne semble s'éroder, ce n'est pas cette impression qui nous traverse.
D'ailleurs, l'exercice de Lagartijas Tiradas al Sol me semble un pas indispensable à franchir afin de changer d'air. Cette troupe de théâtre essaie de comprendre ce qui s'est passé dans une vie et dans une société en ravivant la mémoire de souvenirs agonisants. Au Québec, il n'y avait que Falardeau qui le faisait. Pourtant, n'y a-t-il pas certaines choses importantes du passé qui seraient en train de nous échapper? Par exemple, comment avait été accueilli la Reine d'Angleterre au Québec dans les années soixante? Comment sera bientôt accueilli le couple princier? Pourquoi cette différence ou cette ressemblance? Simple curiosité...
Finalement, le climax de l'article est formulé par Alexandre Vigneault de la façon suivante : « El Rumor del Incendio, malgré l'intérêt et l'importance de son sujet, fait naufrage en raison de cette approche presque totalement désincarnée. La déception aussi suscitée par Asalto Al Agua Transparente (sic) l'an dernier incite finalement à se questionner au sujet de l'attention que le Festival TransAmérique accorde à la jeune troupe mexicaine depuis deux ans... » Si je comprends bien, même si le sujet est important, le Festival TransAmérique devrait considérer cette pièce comme un échec et devrait même penser à jeter la troupe aux poubelles, tout cela à cause d'une « approche désincarnée ».
Au Mexique il y a un proverbe qui dit « dis-moi ce dont tu te vantes et je te dirai ce dont tu manques ». J'ai vraiment l'impression que ce proverbe s'applique très bien à l'affirmation du critique. Lorsque je lis son article, l'ignorance manifeste du contexte de production de l'oeuvre me saute en plein visage et me fournit de sérieuses raisons de soupçonner un « manque d'intérêt » pour le sujet dont il est question. Quels sont ces acronymes, ces lieux et ces dates que l'on nous sert en rafale dans cette pièce? Pourquoi s'y trouvent-ils? Pourquoi le critique s'est-il simplement contenté de se plaindre de cette présence au lieu de chercher à la comprendre? Il existe une différence selon moi entre être critique et être « critiqueux » et, si la pièce traitait d'un sujet « important » et « intéressant », il me semble que la moindre des choses aurait été de faire preuve de sens critique et non pas se contenter d'être « critiqueux ».
De plus, si le sujet abordé par Lagartijas Tiradas al Sol est « important » et « intéressant », il est tout a l'honneur du Festival TransAmérique de réinviter la troupe pour sa prochaine édition. Toutefois, si ce n'est pas le cas, je me demande moi-même qu'elle est l'importance et l'intérêt d'un tel festival. Il est clair que, de mon point de vue, le Québec a tout intérêt à connaître le théâtre du reste de l'Amérique et à faire connaître son théâtre dans cette région du monde, surtout en ce qui concerne la partie du continent que l'on appelle « latine ». Toutefois, je me demande si cet intérêt et cette considération sont partagés par le reste de mes compatriotes.
Vous savez, ici, au Mexique, L'Incendie de Wajdi Mouawad fait salle comble et je soupçonne le FTA d'y être pour quelque chose. Maintenant, Lagartijas Tiradas al Sol ne sont pas non plus les derniers venus. Certes ils n'ont pas l'âge et l'expérience de Mouawad et, proportionnellement, ils ne jouissent pas de la même diffusion. Cependant, leur présence, autant individuelle que collective, est de plus en plus importante. Certains membres de cette troupe ont participé à plusieurs pièces de théâtre et à de nombreux tournages. D'ailleurs, El Rumor del Incendio sera présentée dans plusieurs festivals internationaux, notamment à Bruxelle et à Paris.
Maintenant, le rôle du FTA est-il de faire connaître le théâtre québécois au reste des Amériques ou de faire connaître le théâtre du reste des Amériques aux Québécois? Selon moi, la réponse se trouve dans une dialectique qui inclurait autant la première que la deuxième option. Cela signifie que le FTA doit élaborer ses critères de sélection en se demandant, en quelque sorte, quelles sont les préoccupations de la production théâtrale actuelle en Amériques.
Eh bien, si on lit un peu les journaux latino-américains, on s'aperçoit rapidement que le sujet dont traite El Rumor del Incendio est incontournable : partout en Amérique Latine on cherche à comprendre ce qui s'est passé pendant la « guerre sale ». Regardez, seulement au Chili, on vient d'exhumer les cendres de Salvador Allende; en Haïti, Aristide et Duvalier sont revenus se disputer la mémoire et je peux continuer à vous donner des exemples en Bolivie, au Vénézuela, en Argentine, etc., etc., etc.
Et nous là-dedans? Au Québec, c'était si tranquille que ça à cette époque? D'où vient notre intérêt pour le théâtre de l'Amérique latine au point d'avoir un festival qui en diffuse autant? Serait-ce que notre histoire et notre culture et les leurs auraient plus en commun que l'on serait porter à croire? Afin de répondre à tout cela, ne serait-il pas utile de réaliser, à notre façon, un effort de recherche similaire à celui qu'ont effectué les membres de Lagartijas Tiradas al Sol avec El Rumor del Incendio?
La pièce sera présentée jusqu'au jeudi, 2 juin 2011, chez Prospero.
Pour plus d'information sur le travail de Lagartijas Tiradas al Sol: elrumordeloleaje.wordpress.com
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mercredi 1 juin 2011
jeudi 6 août 2009
Dehors, Novembre: Dédé Fortin, Rêveur Éveillé
Faut croire qu'il est temps de se remémorer. Cet hiver, il y a eu le film, Dédé À Travers Les Brumes, qui a amené sa vague de souvenirs, puis cette semaine, il y eut pas moins de trois spectacles-hommages à Dédé Fortin, dont un avec quelques-uns de ses anciens comparses des Colocs.
Puis une autre pluie de textes sur André ''Dédé'' Fortin, dont trois sur Cyberpresse: Marc Cassivi qui me vole mon opinion, Alexandre Vigneault aussi, et Marie-Christine Blais en fan toujours aussi finie qui parle de son enterrement.
Bon, je dis ''vole mon opinion'', mais ce n'est que parce qu'eux aussi n'ont pas trippé sur le premier disque des Colocs, celui des méga-succès Julie, Passe-Moé La Puck et La Rue Principale (bien que j'avais trouvé les clips pas mals). C'était, pour moi, ni plus ni moins que de la musique de party (trop?) typiquement provinciale avec des textes vaguement sociaux mais assez communs, trop évidents - comme une publicité où l'on voit des enfants africains mourrir de faim. Bien sûr que ça nous touche, mais: 1. vous y êtes déjà à les filmer, aidez-les vous-mêmes, et 2. c'est trop évident qu'on joue avec nos instincts primaires, c'est devenu plus qu'on sait qu'on se sentirait mal d'être indifférents alors on s'efforce de ne pas l'être.
Déjà, en 1995, avec Bon Yeu, sur Atrocetomique, bien que la langue y était plus crue, le message passait mieux. Le problème de la rareté de l'emploi, de la pauvreté y était quand même traité plus subtilement et moins directement que dans Passe-Moé La Puck, qui traitait d'itinérance et de l'hypocrisie de l'attention qu'on y consacre au temps des fêtes. Le clip de Bon Yeu, en plus, sa simplicité, en fait, ne faisait qu'ajouter au message: loin du stop-motion des trois premiers hits, on reprenait les cartons blancs avec messages en noir de Subterranean Homesick Blues de Bob Dylan, le premier clip à utiliser ce procédé, mais, par surcroît, de filmer le tout dans la cour d'une église abandonnée - située à côté du 2116 St-laurent où le groupe a été formé - vouée à la démolition malgré son statut de monument national, on ajoutait un second degré à l'idée.
Ah, les idées. Fortin en débordait. Celle de lancer son deuxième album au Spectrum, au party référendaire du camp du Oui le soir du référendum sur la souveraineté de 1995, alors que Mike Sawatzky, guitariste du groupe, un Cri anglophone de l'Ouest Canadien de naissance, est partisan du Non, en était une qu'il aurait pu abandonner. Un peu parce que c'était un pari risqué de devoir chanter ses chansons de party dans une ambiance de défaite si défaite il devait y avoir, mais aussi parce qu'il est prétentieux, après seulement un album, de se faire la tête d'affiche d'une cause défendue depuis des décennies par les Richard Séguin, Richard Desjardins et autres Paul Piché.
Et non seulement il y a eu défaite, mais le discours que prononça Jacques Parizeau, blâmant légendairement ''l'argent et le vote ethnique'' allait totalement à l'encontre des valeurs de Dédé, qui voulait, oui, un Québec souverain et indépendant, mais le voulait inclusif, pour tous ceux qui voulaient être Québécois, peu importe la langue d'origine, la couleur de peau, la religion, l'orientation sexuelle...
Le Québec de Dédé Fortin non seulement acceptait un Mike Sawatzky mais tenait à son épanouissement. Celui de Parizeau lui a confirmé ce que Sawatzky avait entendu toute sa vie: speak white, hostie. M'enfin...
Je ne sais pas si je suis anormal ou vicieux, mais je semble préférer l'art qui naît dans la tristesse. Avec la mort de son comparse et Coloc d'origine Patrick Di Napoli (VIH, 1994) , la défaite référendaire et la crise du verglas déprimante à souhait début 1998, Fortin en a broyé du noir.
Et il nous a pondu Dehors Novembre, le deuxième meilleur disque de l'histoire du Québec. Je vous épargnerai pour l'instant (et garderai pour un texte prochain) les raisons qui me poussent à l'en classer ainsi (et l'identité des autres qui l'entourent), mais il s'agît d'un album parfait: sombre, texturé, textes recherchés et poignants, ouverture sur le monde, phrases en Wolof, band aggrandi, quelques tounes plus beatées (dont une entièrement reggae) pour plaire aux radios, la meilleure chanson une ballade morbide - Le Répondeur - que le groupe refuse de sortir en single (un peu comme Black, de Pearl Jam, en 91-92), un vrai trip artistique réussi du début à la fin.
Je l'ai acheté parce qu'il était en spécial au Future Shop à 9.99$ (comme la plupart des nouveautés de la semaine à l'époque) et je savais que je pouvais le revendre pour 6 ou 7 dollars à un magasin de disques usagés si je ne l'aimais pas, une moindre perte; j'avais l'habitude d'acheter entre 5 et 10 disques par semaine à l'époque, juste pour voir (et surtout entendre!) ce qui se faisait, partout, en musique.
C'était en mai 1998, premiers balbutiements de ma relation avec une fille qui s'appelait Myriam. En arrivant chez ma copine, qui travaillait, je me suis assis sur le divan et j'ai mis le disque, m'attendant à endurer un calvaire d'environ une heure avant de passer à autre chose. Mais voilà, je n'ai pas bougé d'un poil pendant toute l'écoute, même qu'une fois le disque terminé, je suis resté sur place, ébahi, mortifié, atteint, dévasté.
Chaque mot un pincement au coeur, chaque phrase qui se termine un tour de fer dans la plaie. Je l'ai ré-écouté 6 autres fois avant que Myriam ne revienne de travailler.
- Qu'est-ce que tu fais là?
- Je viens de finir d'écouter le nouveau disque des Colocs. Sept fois...
- Sept fois? Mais tu ne les aime même pas!
- C'est ma-la-de. C'est tellement bon, tellement touchant, tellement marquant. Tu te souviens il y a deux ans, l'effet qu'a eu Le Dôme de Jean Leloup? Bien que tout le monde l'aimait, ce fut la surprise quand même quand le chef d'oeuvre est sorti?
- Ouais...
- Pareil. Mais en triste au lieu d'en fucké. Au lieu de te confondre dans un Manoir À L'Envers - quand tu ne sais pas qui est M.C. Escher, bien entendu - ou de te parler d'Edgar Poe saoûl sur le bord de la route, ben il te parle de mort, de dépression hivernale, de solitude. Et pis ça frappe dans le mille.
Contrairement à ce que l'on peut penser, puisque je suis un musicien avec une formation en cinéma, rarement je n'associe une chanson avec un événement, sauf, bien entendu, dans un concert. Je le précise parce qu'à l'été 1998, ma relation avec la fille citée plus haut a pris fin. Il appert aussi que j'ai passé une bonne partie de l'été à écouter l'album des Colocs. Certains font le lien: il était déprimé, il a écouté de la musique déprimante, c'est pour cela qu'il aime l'album. Mais non. Non seulement il n'y avait aucune chanson sur repeat chez moi, mais même à ce jour, je n'associe aucune chanson (d'aucun artiste) ni aux meilleurs ni aux pires moments de ma relation avec elle, ni à ma façon de passer au travers la rupture (qui fut, en fait, d'obtenir le premier ''emploi de rêve qui allait me décevoir'', soit de travailler au magasin de livres et de disques usagés L'Échange).
Certaines chansons ont beaucoup tourné à la radio et à MusiquePlus, je pense ici évidemment à Tassez-Vous De D'Là et Pis Si Ô Moins, une rotation excessive qui aurait pu tuer le goût d'entendre ces chansons-là, mais il n'en fut rien. Et c'est tant mieux.
Avec le temps, j'ai pu apprivoiser certaines des pièces des albums précédents de façon à ne pas chercher les toilettes à tout prix quand je les entends dans un bar ou chez quelqu'un, mais elles demeurent moins bonnes et moins marquantes, moins poignantes que celles de Dehors Novembre. Comme si elles étaient incomplètes.
J'en discutais avec Jimmy Bourgoing, leur batteur originel, qui quittait le navire en 1998. Même lui ne peut écouter certaines pièces, dont la chanson-titre dont il a co-signé la musique, de l'album, parce qu'elles sont trop touchantes.
Il est difficile d'élever au rang de légende un artiste qui a pondu un chef d'oeuvre et deux albums potables, mais on l'a fait pour Kurt Cobain en 1994, même que pour lui, de façon posthume, on a révisé tous les palmarès du temps qu'il était en vie pour le faire passer de la deuxième, troisième, cinquième, dixième place à la première, révisionnisme assez bâtard. Et je pleure chaque fois que Dédé Fortin est comparé à Cobain, parce que c'est le rabaisser énormément que de le catégoriser ainsi.
Avec Leloup, Fortin aura été le porte-étendard d'une culture québécoise populaire et intelligente des années 90, qu'ils ont dû porter bien haut et bien seuls, malheureusement, trop peu souvent suivis par des Daniel Bélanger et Kevin Parent pas toujours à la hauteur - et dépassés en termes de ventes par des Éric Lapointe cheaps et des centaines de clones de Céline Dion.
Puis une autre pluie de textes sur André ''Dédé'' Fortin, dont trois sur Cyberpresse: Marc Cassivi qui me vole mon opinion, Alexandre Vigneault aussi, et Marie-Christine Blais en fan toujours aussi finie qui parle de son enterrement.
Bon, je dis ''vole mon opinion'', mais ce n'est que parce qu'eux aussi n'ont pas trippé sur le premier disque des Colocs, celui des méga-succès Julie, Passe-Moé La Puck et La Rue Principale (bien que j'avais trouvé les clips pas mals). C'était, pour moi, ni plus ni moins que de la musique de party (trop?) typiquement provinciale avec des textes vaguement sociaux mais assez communs, trop évidents - comme une publicité où l'on voit des enfants africains mourrir de faim. Bien sûr que ça nous touche, mais: 1. vous y êtes déjà à les filmer, aidez-les vous-mêmes, et 2. c'est trop évident qu'on joue avec nos instincts primaires, c'est devenu plus qu'on sait qu'on se sentirait mal d'être indifférents alors on s'efforce de ne pas l'être.
Déjà, en 1995, avec Bon Yeu, sur Atrocetomique, bien que la langue y était plus crue, le message passait mieux. Le problème de la rareté de l'emploi, de la pauvreté y était quand même traité plus subtilement et moins directement que dans Passe-Moé La Puck, qui traitait d'itinérance et de l'hypocrisie de l'attention qu'on y consacre au temps des fêtes. Le clip de Bon Yeu, en plus, sa simplicité, en fait, ne faisait qu'ajouter au message: loin du stop-motion des trois premiers hits, on reprenait les cartons blancs avec messages en noir de Subterranean Homesick Blues de Bob Dylan, le premier clip à utiliser ce procédé, mais, par surcroît, de filmer le tout dans la cour d'une église abandonnée - située à côté du 2116 St-laurent où le groupe a été formé - vouée à la démolition malgré son statut de monument national, on ajoutait un second degré à l'idée.
Ah, les idées. Fortin en débordait. Celle de lancer son deuxième album au Spectrum, au party référendaire du camp du Oui le soir du référendum sur la souveraineté de 1995, alors que Mike Sawatzky, guitariste du groupe, un Cri anglophone de l'Ouest Canadien de naissance, est partisan du Non, en était une qu'il aurait pu abandonner. Un peu parce que c'était un pari risqué de devoir chanter ses chansons de party dans une ambiance de défaite si défaite il devait y avoir, mais aussi parce qu'il est prétentieux, après seulement un album, de se faire la tête d'affiche d'une cause défendue depuis des décennies par les Richard Séguin, Richard Desjardins et autres Paul Piché.
Et non seulement il y a eu défaite, mais le discours que prononça Jacques Parizeau, blâmant légendairement ''l'argent et le vote ethnique'' allait totalement à l'encontre des valeurs de Dédé, qui voulait, oui, un Québec souverain et indépendant, mais le voulait inclusif, pour tous ceux qui voulaient être Québécois, peu importe la langue d'origine, la couleur de peau, la religion, l'orientation sexuelle...
Le Québec de Dédé Fortin non seulement acceptait un Mike Sawatzky mais tenait à son épanouissement. Celui de Parizeau lui a confirmé ce que Sawatzky avait entendu toute sa vie: speak white, hostie. M'enfin...
Je ne sais pas si je suis anormal ou vicieux, mais je semble préférer l'art qui naît dans la tristesse. Avec la mort de son comparse et Coloc d'origine Patrick Di Napoli (VIH, 1994) , la défaite référendaire et la crise du verglas déprimante à souhait début 1998, Fortin en a broyé du noir.
Et il nous a pondu Dehors Novembre, le deuxième meilleur disque de l'histoire du Québec. Je vous épargnerai pour l'instant (et garderai pour un texte prochain) les raisons qui me poussent à l'en classer ainsi (et l'identité des autres qui l'entourent), mais il s'agît d'un album parfait: sombre, texturé, textes recherchés et poignants, ouverture sur le monde, phrases en Wolof, band aggrandi, quelques tounes plus beatées (dont une entièrement reggae) pour plaire aux radios, la meilleure chanson une ballade morbide - Le Répondeur - que le groupe refuse de sortir en single (un peu comme Black, de Pearl Jam, en 91-92), un vrai trip artistique réussi du début à la fin.
Je l'ai acheté parce qu'il était en spécial au Future Shop à 9.99$ (comme la plupart des nouveautés de la semaine à l'époque) et je savais que je pouvais le revendre pour 6 ou 7 dollars à un magasin de disques usagés si je ne l'aimais pas, une moindre perte; j'avais l'habitude d'acheter entre 5 et 10 disques par semaine à l'époque, juste pour voir (et surtout entendre!) ce qui se faisait, partout, en musique.
C'était en mai 1998, premiers balbutiements de ma relation avec une fille qui s'appelait Myriam. En arrivant chez ma copine, qui travaillait, je me suis assis sur le divan et j'ai mis le disque, m'attendant à endurer un calvaire d'environ une heure avant de passer à autre chose. Mais voilà, je n'ai pas bougé d'un poil pendant toute l'écoute, même qu'une fois le disque terminé, je suis resté sur place, ébahi, mortifié, atteint, dévasté.
Chaque mot un pincement au coeur, chaque phrase qui se termine un tour de fer dans la plaie. Je l'ai ré-écouté 6 autres fois avant que Myriam ne revienne de travailler.
- Qu'est-ce que tu fais là?
- Je viens de finir d'écouter le nouveau disque des Colocs. Sept fois...
- Sept fois? Mais tu ne les aime même pas!
- C'est ma-la-de. C'est tellement bon, tellement touchant, tellement marquant. Tu te souviens il y a deux ans, l'effet qu'a eu Le Dôme de Jean Leloup? Bien que tout le monde l'aimait, ce fut la surprise quand même quand le chef d'oeuvre est sorti?
- Ouais...
- Pareil. Mais en triste au lieu d'en fucké. Au lieu de te confondre dans un Manoir À L'Envers - quand tu ne sais pas qui est M.C. Escher, bien entendu - ou de te parler d'Edgar Poe saoûl sur le bord de la route, ben il te parle de mort, de dépression hivernale, de solitude. Et pis ça frappe dans le mille.
Contrairement à ce que l'on peut penser, puisque je suis un musicien avec une formation en cinéma, rarement je n'associe une chanson avec un événement, sauf, bien entendu, dans un concert. Je le précise parce qu'à l'été 1998, ma relation avec la fille citée plus haut a pris fin. Il appert aussi que j'ai passé une bonne partie de l'été à écouter l'album des Colocs. Certains font le lien: il était déprimé, il a écouté de la musique déprimante, c'est pour cela qu'il aime l'album. Mais non. Non seulement il n'y avait aucune chanson sur repeat chez moi, mais même à ce jour, je n'associe aucune chanson (d'aucun artiste) ni aux meilleurs ni aux pires moments de ma relation avec elle, ni à ma façon de passer au travers la rupture (qui fut, en fait, d'obtenir le premier ''emploi de rêve qui allait me décevoir'', soit de travailler au magasin de livres et de disques usagés L'Échange).
Certaines chansons ont beaucoup tourné à la radio et à MusiquePlus, je pense ici évidemment à Tassez-Vous De D'Là et Pis Si Ô Moins, une rotation excessive qui aurait pu tuer le goût d'entendre ces chansons-là, mais il n'en fut rien. Et c'est tant mieux.
Avec le temps, j'ai pu apprivoiser certaines des pièces des albums précédents de façon à ne pas chercher les toilettes à tout prix quand je les entends dans un bar ou chez quelqu'un, mais elles demeurent moins bonnes et moins marquantes, moins poignantes que celles de Dehors Novembre. Comme si elles étaient incomplètes.
J'en discutais avec Jimmy Bourgoing, leur batteur originel, qui quittait le navire en 1998. Même lui ne peut écouter certaines pièces, dont la chanson-titre dont il a co-signé la musique, de l'album, parce qu'elles sont trop touchantes.
Il est difficile d'élever au rang de légende un artiste qui a pondu un chef d'oeuvre et deux albums potables, mais on l'a fait pour Kurt Cobain en 1994, même que pour lui, de façon posthume, on a révisé tous les palmarès du temps qu'il était en vie pour le faire passer de la deuxième, troisième, cinquième, dixième place à la première, révisionnisme assez bâtard. Et je pleure chaque fois que Dédé Fortin est comparé à Cobain, parce que c'est le rabaisser énormément que de le catégoriser ainsi.
Avec Leloup, Fortin aura été le porte-étendard d'une culture québécoise populaire et intelligente des années 90, qu'ils ont dû porter bien haut et bien seuls, malheureusement, trop peu souvent suivis par des Daniel Bélanger et Kevin Parent pas toujours à la hauteur - et dépassés en termes de ventes par des Éric Lapointe cheaps et des centaines de clones de Céline Dion.
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