samedi 11 juin 2011

Lagacé Commence À... M'Agacer

Patrick Lagacé, de La Presse, se lance ce matin encore à la défense de ceux qui ne peuvent se défendre eux-mêmes, c'est-à-dire les policiers qui tuent des civils dans le cadre de leur emploi.

Après sa prise de position relativement comprenable dans le cas de Freddy Villanuova, ce ''jeune criminel de Montréal-Nord'', le voici ce matin qu'il défend les quatre policiers qui ont tué, mardi matin dernier, un itinérant qui se battait avec un sac de poubelles et un passant, qui ne faisait que se présenter au travail (un employé de l'hôpital Saint-Luc - j'imagine que Stephen Harper et Jean Charest vont appeler ça de la création d'emploi).

Trois balles ont été tirées, deux sur le sans-abris, une sur le passant. Alors que l'arme à feu ne doit être utilisée qu'en dernier recours.

Encore une fois, je suis issu d'une famille qui a incorporé le métier de policier (et de militaire) dans son arbre généalogique, pas un ado anarchiste anti-McDo. Dans tous les corps policiers (SQ, SPVM, GRC) qui les ont employés, jamais un d'eux ne s'est retrouvé dans une situation où la force fatale n'a été utilisée sans être le dernier recours. Même pour le sergent qui oeuvre dans St-Léonard et Montréal-Nord et doit faire face à une guerre de mafieux et de gangs de rue à tous les jours.

Il y a moyen de le faire.


Lagacé, absurde comme lui seul en est capable, y est allé de cette allégorie:

Dans un film américain, Bruce Willis aurait pris la situation en main. Hop, une prise de judo. Hop, une balle dans la jambe. Mais nous ne sommes pas dans un film américain. Nous sommes dans la vraie vie, dans une grande ville nord-américaine.

Le flic nord-américain ne tirera pas une balle dans la jambe de Mario Hamel, en ce mardi matin. Il n'est pas entraîné pour cela. Il est entraîné à tirer au milieu du corps. Il est entraîné à tirer pour tuer.
Si c'est vrai, alors incorporons-donc quelques cours sinon d'arts martiaux alors d'auto-défense de base de style ''un homme contre un homme et son couteau'', le genre de cours qu'un doorman de bar trouve le moyen de terminer en deux semaines, de soir, entre des quarts de travail sur Crescent ou Ste-Catherine où il doit, justement, faire face à des épais armés en état d'ébriété presque chaque soir, sans jamais en tuer un et - plus important encore - sans jamais mourir lui-même. C'est faisable pour un boeuf de 350 livres qui travaille presque au salaire minimum avec son QI sous-normes, ce devrait l'être dans les écoles de police. Me semble.

mercredi 1 juin 2011

"El Rumor del Incendio" face au nihilisme post-moderne lassant de la critique théâtrale québecoise

Je vais me prêter ici à un exercice controversé qui consiste en une critique partiale d'une critique de théâtre que j'ai lue sur www.cyberpresse.ca, publiée le 1er juin 2011. Je dis qu'il s'agit d'un exercice controversé car il est risqué de critiquer une critique, d'autant plus si l'on connaît les gens qui en sont l'objet. Toutefois, en ce qui me concerne, il est nécessaire de m'exprimer sur le sujet parce que je trouve ce texte symptomatique d'un certain nihilisme post-moderne lassant qui règne sur le Québec et dont je tiens les médias de masse responsables en bonne partie.

La critique dont il est question ici, dont l'auteur est Alexandre Vigneault, traite d'une pièce de théâtre que j'ai eu l'opportunité de voir à Mexico, il y a de cela quelques mois, et qui a été présentée à Montréal dans le cadre de la dernière édition du Festival TransAmérique. Cette pièce, El Rumor del Incendio, qui consiste en un amalgame de genres qui appartiennent à la fois aux domaines de la fiction et des narrations qui ne se prétendent point fictives, cherche à reconstruire la vie de Margarita Urías Hermosillo afin de la comprendre elle, mais aussi de comprendre une époque qui pourrait paraître lointaine depuis une perspective post-9/11. Toutefois, il semble qu'au Québec on a souvent tendance à confondre distance et différence lorsqu'il s'agit d'histoire, ce dont je tiens - encore une fois - les médias de masses responsables en bonne partie.

L'exercice auquel se prêtent Luisa Pardo et Gabino Rodríguez, deux des principaux artisans de cette pièce, est beaucoup plus risqué que celui auquel je me prête en ce moment. En effet, il se trouve que Margarita Urías Hermosillo était la mère de Luisa. Il s'agit donc d'une œuvre encore plus partiale que ma critique.

Aujourd'hui, Luisa fait du théâtre alors qu’autrefois sa mère s'était enrôlée dans une des nombreuses guerrillas mexicaines. El Rumor del Incendio est donc le fruit d'une labeur de recherche historique, généalogique, sociologique et politique dont le résultat consiste en un documentaire scénique qui permet au public, mexicain du moins, de réintégrer des éléments qui semblaient être disparus de la mémoire collective.

Entre autre, il est surprenant de voir de quelle façon l'usage ou non de la violence à des fins révolutionnaires ou de lutte contre l'oppression était objet de débat, contrairement à aujourd'hui, où un consensus malsain sur le sujet nous oblige à l'apathie, même lorsque l'on se heurte aux pires injustices, que ce soit venant de l'État ou venant de grandes corporations qui arrachent nos ressources et notre plus-value. Il semble que notre consensus autour de la non-violence aille de pair avec le leur autour de l'usage de la violence, surtout depuis le 11 septembre 2001.

Quoique, dans le cas québécois, ce consensus autour de la non-violence régnerait peut-être depuis l'assassinat de Pierre Laporte. En ce sens, il est intéressant de lire l'article de Pierre Foglia, Le passé qui ne passe pas, dans lequel le chroniqueur nous parle de l'ambiance « d'exaltation » dans laquelle baignait le Québec avant qu'on trouve le cadavre du ministre. En fait, cet article de Pierre Foglia et El Rumor del Incendio ont cela en commun : malgré la distance, les deux documents nous rappellent certaines choses que l'histoire officielle voudrait effacer à tout prix.

Je reviens donc à la critique d'Alexandre Vigneault sur cette pièce de théâtre mexicaine. Ce qui me dérange, ce n'est pas qu'il ne l'aie pas aimé, c'est plutôt qu'en lisant son article, j'ai l'impression de lire le triomphe de l'histoire officielle. Son texte est imbibé d'un mauvais usage du structuralisme prôné à outrance dans les universités québécoises. J'ignore l'université à laquelle ce critique a étudié, mais je me souviens que, lors de mes années de Baccalauréat à l'Université de Montréal, on me tapait sur les doigts sitôt que j'essayais d'aborder le contexte et l'auteur dans un travail d'analyse littéraire. Pourtant, je suis toujours aussi convaincu que l'on en sait jamais trop sur l'auteur et son contexte lorsque l'on essaie de comprendre son œuvre. Je me suis même aperçu que cela rendait la lecture plus passionnante ou moins ennuyante, selon le cas.

Ce qui me dérange, c'est cette plainte : « Or, ce que l'on constate vite, c'est que cette masse d'information est livrée dans une orgie de dates, de lieux, d'acronymes et de noms qui finit par avoir raison de notre indignation et même de notre compassion ». Afin de savoir si elle est légitime ou non, je crois qu'il faut nous questionner sur la fonction de la critique artistique et se demander si celle-ci doit nous indiquer si aller ou non voir une œuvre ou si elle doit plutôt nous apporter un point de vue susceptible d'enrichir notre expérience, peu importe si celle-ci sera positive ou négative. Selon moi, il est clair que c'est la deuxième option qui obtient mon vote, mais lorsque je lis l'article d'Alexandre Vigneault, j'ai l'impression que lui, ainsi que son employeur, penchent plutôt en faveur de la première.

Pourquoi cette « orgie de dates, de lieux, d'acronymes et de noms »? Il me semble qu'un critique de théâtre, de par sa position privilégiée que lui octroie sa profession, pourrait très bien formuler cette question aux artistes qui présentent cette pièce. Malheureusement, la routine du métier de critique d'art ne semblent pas lui donner le temps de comprendre; il faut lui donner l'information à la petite cuillère, déjà cuisinée et mastiquée. Et l'on se surprend de la stérilité culturelle de notre époque...

Ensuite, Alexandre Vigneault en a contre « les tirades informatives et ces lectures mécaniques de lettres personnelles qui auraient pu s'avérer touchante ». Pour ma part, j'aurais peut-être crier au sacrilège si ces lettres avaient été lues sur un ton mélodramatique, aussi subtil eu-t-il été. C'est peut-être ma lecture d'Agota Kristof qui m'a trop convaincu qu'il n'était pas nécessaire que les émotions soient formulées par l'émetteur afin qu'elles soient ressenties par le récepteur.

Toutefois, pour apprécier pleinement ce choix de style de la part de Lagartijas Tiradas al Sol, je crois qu'il faut en savoir plus sur le contexte de production de l'oeuvre. En effet, si l'on croit que le Mexique est un État pas si pauvre que ça, pas si anti-démocratique que ça et pas si violent que ça, on serait en droit de s'attendre à une narration au ton chaleureux. Sauf que, quand on sait que ce pays est submergé dans une violence inimaginable, que les mouvements sociaux y sont de plus en plus stigmatisés, que l'État trouve chaque jour de nouvelles justifications pour utiliser la force et que la pauvreté provoque un des exodes les plus importants sur la planète, on commence à comprendre un peu plus le sens d'utiliser un ton aussi froid. Selon moi, cette voix constitue la métaphore d'une société qui se désensibilise chaque jour un peu plus.

Le critique se défend en disant que « émotion et pensée ne sont pas des antagonismes : en appeler aux affects peut permettre d'entrer dans l'intellect par la grande porte comme en a déjà fait la preuve la compagnie de théâtre documentaire montréalaise Porte-parole ». Je ne connais malheureusement pas le travail de cette compagnie de théâtre, mais pourquoi diantre Lagartijas Tiradas al Sol devraient-ils essayer de reconstruire la vie de Margarita Urías Hermosillo en copiant le style de Porte-parole? De toute façon, lorsque j'ai vu cette pièce, la froideur et l'aspect mécanique de la façon de parler des personnages ont été précisément les éléments qui ont suscité en moi « indignation », « compassion », mais surtout, une envie d'agir contre ce passé qui mitraillait le public. Selon moi, l'émetteur n'a pas besoin de ressentir pour faire ressentir. Je dirais même que, dans la plupart des cas, il est préférable que celui-ci ne ressente pas à ma place.

Il y a autre chose qui m'écorche dans cette phrase. J'y trouve un prélude au climax de l'article que je ne voudrais pas vendre tout de suite. En effet, j'y entrevois quelque chose entre les lignes du genre « on n'a pas besoin que ces étrangers viennent faire ce genre de théâtre ici. Chez nous, on a des gens qui en font et du bien meilleur »; un peu comme si cette troupe et cette pièce n'avait rien à nous apporter de nouveau.

Pourtant, lorsque j'ai vu cette expérience théâtrale qui, au Mexique, a éveillé tant de souvenirs dans le public, qui ont même fait l'objet d'un débat-conférence ayant eu lieu environ une semaine après les représentations, mon premier réflexe a été de me demander si, au Québec, nous avions une quelconque expérience similaire qui aurait pu entrer en dialogue avec la pièce de théâtre. Peut-être que pour plusieurs québécois, la réponse serait non. Toutefois, en ce qui me concerne, je me suis rappelé de ce texte de Foglia mentionné plus haut. Dans les deux documents on trouve l'évocation d'une « exaltation ». Il y a ensuite un certain événement qui met fin à cette exaltation et qui semble laisser place à une terrible angoisse, un certain repentir même...

Autant au Mexique qu'au Québec, on dirait que l'on vit une interminable gueule de bois depuis 1980. C'est partout pareil vous dites? Non. En Bolivie, ce n'est pas précisément cette ambiance qui règne. Même au Vénézuela, où la Révolution Bolivarienne semble s'éroder, ce n'est pas cette impression qui nous traverse.

D'ailleurs, l'exercice de Lagartijas Tiradas al Sol me semble un pas indispensable à franchir afin de changer d'air. Cette troupe de théâtre essaie de comprendre ce qui s'est passé dans une vie et dans une société en ravivant la mémoire de souvenirs agonisants. Au Québec, il n'y avait que Falardeau qui le faisait. Pourtant, n'y a-t-il pas certaines choses importantes du passé qui seraient en train de nous échapper? Par exemple, comment avait été accueilli la Reine d'Angleterre au Québec dans les années soixante? Comment sera bientôt accueilli le couple princier? Pourquoi cette différence ou cette ressemblance? Simple curiosité...

Finalement, le climax de l'article est formulé par Alexandre Vigneault de la façon suivante : « El Rumor del Incendio, malgré l'intérêt et l'importance de son sujet, fait naufrage en raison de cette approche presque totalement désincarnée. La déception aussi suscitée par Asalto Al Agua Transparente (sic) l'an dernier incite finalement à se questionner au sujet de l'attention que le Festival TransAmérique accorde à la jeune troupe mexicaine depuis deux ans... » Si je comprends bien, même si le sujet est important, le Festival TransAmérique devrait considérer cette pièce comme un échec et devrait même penser à jeter la troupe aux poubelles, tout cela à cause d'une « approche désincarnée ».

Au Mexique il y a un proverbe qui dit « dis-moi ce dont tu te vantes et je te dirai ce dont tu manques ». J'ai vraiment l'impression que ce proverbe s'applique très bien à l'affirmation du critique. Lorsque je lis son article, l'ignorance manifeste du contexte de production de l'oeuvre me saute en plein visage et me fournit de sérieuses raisons de soupçonner un « manque d'intérêt » pour le sujet dont il est question. Quels sont ces acronymes, ces lieux et ces dates que l'on nous sert en rafale dans cette pièce? Pourquoi s'y trouvent-ils? Pourquoi le critique s'est-il simplement contenté de se plaindre de cette présence au lieu de chercher à la comprendre? Il existe une différence selon moi entre être critique et être « critiqueux » et, si la pièce traitait d'un sujet « important » et « intéressant », il me semble que la moindre des choses aurait été de faire preuve de sens critique et non pas se contenter d'être « critiqueux ».

De plus, si le sujet abordé par Lagartijas Tiradas al Sol est « important » et « intéressant », il est tout a l'honneur du Festival TransAmérique de réinviter la troupe pour sa prochaine édition. Toutefois, si ce n'est pas le cas, je me demande moi-même qu'elle est l'importance et l'intérêt d'un tel festival. Il est clair que, de mon point de vue, le Québec a tout intérêt à connaître le théâtre du reste de l'Amérique et à faire connaître son théâtre dans cette région du monde, surtout en ce qui concerne la partie du continent que l'on appelle « latine ». Toutefois, je me demande si cet intérêt et cette considération sont partagés par le reste de mes compatriotes.

Vous savez, ici, au Mexique, L'Incendie de Wajdi Mouawad fait salle comble et je soupçonne le FTA d'y être pour quelque chose. Maintenant, Lagartijas Tiradas al Sol ne sont pas non plus les derniers venus. Certes ils n'ont pas l'âge et l'expérience de Mouawad et, proportionnellement, ils ne jouissent pas de la même diffusion. Cependant, leur présence, autant individuelle que collective, est de plus en plus importante. Certains membres de cette troupe ont participé à plusieurs pièces de théâtre et à de nombreux tournages. D'ailleurs, El Rumor del Incendio sera présentée dans plusieurs festivals internationaux, notamment à Bruxelle et à Paris.

Maintenant, le rôle du FTA est-il de faire connaître le théâtre québécois au reste des Amériques ou de faire connaître le théâtre du reste des Amériques aux Québécois? Selon moi, la réponse se trouve dans une dialectique qui inclurait autant la première que la deuxième option. Cela signifie que le FTA doit élaborer ses critères de sélection en se demandant, en quelque sorte, quelles sont les préoccupations de la production théâtrale actuelle en Amériques.

Eh bien, si on lit un peu les journaux latino-américains, on s'aperçoit rapidement que le sujet dont traite El Rumor del Incendio est incontournable : partout en Amérique Latine on cherche à comprendre ce qui s'est passé pendant la « guerre sale ». Regardez, seulement au Chili, on vient d'exhumer les cendres de Salvador Allende; en Haïti, Aristide et Duvalier sont revenus se disputer la mémoire et je peux continuer à vous donner des exemples en Bolivie, au Vénézuela, en Argentine, etc., etc., etc.

Et nous là-dedans? Au Québec, c'était si tranquille que ça à cette époque? D'où vient notre intérêt pour le théâtre de l'Amérique latine au point d'avoir un festival qui en diffuse autant? Serait-ce que notre histoire et notre culture et les leurs auraient plus en commun que l'on serait porter à croire? Afin de répondre à tout cela, ne serait-il pas utile de réaliser, à notre façon, un effort de recherche similaire à celui qu'ont effectué les membres de Lagartijas Tiradas al Sol avec El Rumor del Incendio?

La pièce sera présentée jusqu'au jeudi, 2 juin 2011, chez Prospero.
Pour plus d'information sur le travail de Lagartijas Tiradas al Sol: elrumordeloleaje.wordpress.com