vendredi 2 octobre 2009

Vieux mots tard que majais... Notre électricité et Notre-Dame

Comme tu t'en doutais sûrement, je suis en désaccord avec ton article sur de nombreux points. Il y en a vraiment beaucoup, parce que c'est un article avec beaucoup de contenu, ce qui est très bien en soi.
Alors, comme je te dis, elles sont nombreuses, il va donc falloir y aller dans l'ordre.

La première est celle-ci:

« Peut-être suis-je biaisé parce que moi aussi, j'y suis allé à Notre-Dame, et qu'ils m'y ont lavé le cerveau, mais, en soi, je vois beaucoup plus de points ''pour'' que de points ''contre'' cette histoire. »

En fait, tu ne vois pas plus de points « pour » que de points « contre ». L'idée de base de l'argumentation qui suit cette affirmation c'est, en quelque sorte, de justifier l'octroie d'une subvention de la part d'Hydro-Québec à une compagnie à but lucratif qui s'est donnée pour tâche de vendre très cher une éducation basée sur la foi à des parents d'adolescents qui ont les moyens de payer des frais de scolarité de 3000 dollars par an. Sauf que, pour justifier ce geste de la part de Thierry Vandal, tu ne te bases pas sur des « pour », mais plutôt sur l'idée que, dans une société aussi pourrie que la nôtre, ce genre d'aberration est monnaie courante et que, si l'argent est pour aller à une école secondaire, on n'a pas à se plaindre.

Par exemple, dans la phrase suivante, tu dis :

« Bon, on veut amener le débat vers un angle ''on privilégie les riches avec l'argent des pauvres'', et c'est en quelque sorte vrai, mais il y a probablement quand même autant (sinon plus) de gens moins aisés qui envoient leur enfant à Notre-Dame que de riches dans les écoles publiques (…) »

Tu concèdes alors qu'il est vrai que « l'on privilégie les riches avec l'argent des pauvres ». En ce qui concerne la véracité de cette affirmation j'aurais un bémol à apporter sur lequel je reviendrai sous peu. Toujours est-il que cela est un point « contre ».

La raison pour laquelle je dis que tu ne vois pas plus de points « pour » que de points « contre » est la suivante : ton texte a une symétrie quasi-parfaite. C'est-à-dire que, pour chaque point « contre », tu donnes un point « pour ». Le résultat est que tu finis par nous donner autant de points « contre » que de points « pour », sauf que, en plus, la prémisse de base que tu nous fais accepter, est que c'est toute notre société qui fonctionne de cette façon en disant que « le problème d'éthique en est un de société ». Comme il s'agit, selon tes propres mots, d'un « problème », on se retrouve donc avec un autre gros point « contre ». Ça nous donne donc comme résultat que tu vois plus de points « contre » que de points « pour ».

Ce dernier point « contre » n'est pas négligeable car cela signifie que c'est le fondement même du fonctionnement de la société québécoise qui doit être remis en question. Une société qui, comme on le sait, est sortie de sa condition de colonisée au cours du processus que l'on connaît désormais sous le nom de « Révolution tranquille », période durant laquelle la nationalisation de l'électricité a été un des facteurs les plus importants du développement économique et, a fortiori, social et politique accéléré qu'elle a connu.

Le bémol que je voulais apporter en ce qui concerne ton affirmation selon laquelle « on privilégie les riches avec l'argent des pauvres » est le suivant : ce n'est pas seulement avec l'argent des pauvres que l'on privilégie les riches, c'est avec l'argent de tous ceux qui paient des impôts et aussi de tous ceux qui devraient bénéficier des services de l'État.

Étant donné que, comme tu le dis, les grandes entreprises (qui, selon mes critères, n'appartiennent pas précisément aux classes pauvres et moyennes) ont recours à des abris fiscaux dans le but d'échapper à leur devoir de contribuable, et que les services qu'offrent l'État ont été mis en place dans le but de venir en aide à ceux qui n'avaient pas les moyens de se les payer sous leur forme « privée », c'est l'argent de tout le monde, sauf des riches, qu'une poignée d'individus riches décident de s'échanger. Comme tu le dis si bien : « est-ce la première fois que l'élite redonne à l'élite? Surtout une élite qu'elle connaît? »

Pour contre-balancer l'aspect négatif de cette affirmation, tu cites en exemple le cas de Dick Cheney et Halliburton aux États-Unis. Je suis désolé, mais ici, je ne vois vraiment pas le « pour » que tu nous apportes, sauf peut-être en soutenant que « c'est moins pire ». Cependant, quand on dit que c'est moins pire, ça veut nécessairement dire que ça pourrait être beaucoup mieux; si on l'accepte, c'est tout simplement parce que l'on n'a pas le choix. Selon moi, on est encore en présence d'un autre point « contre ».

Pour rester dans le sujet du « moins pire », tu nous dis que le cas de Thierry Vandal est moins pire que celui du PDG de BMO. Là-dessus, je ne suis pas tout à fait d'accord. La raison réside en ce que représente Hydro-Québec et l'éducation publique dans le processus historique, social, politique et économique de la société québécoise.

Je n'ai ni le temps ni l'espace de te montrer les statistiques sur le sujet, mais de toute façon, je sais que tu connais l'histoire et que tu n'as pas besoin que je te fasse un dessin pour que tu aies une idée des conditions et de la qualité de vie des québécois pendant l'époque de Duplessis afin que tu puisses la comparer avec la situation (quoique en déclin) actuelle. Sauf que, le fait que Hydro-Québec redistribue une partie de ses profits, aussi minime soit-elle, à une entreprises qui se dédie au commerce de l'éducation, ça représente une trahison à notre collectivité. C'est-à-dire, l'idée derrière la nationalisation de l'électricité était d'augmenter la richesse collective et non la richesse privée. Hydro-Québec a le mandat de nous rendre plus riches en tant que collectivité d'abord et ensuite en tant qu'individu.

De l'autre côté, le cas du PDG de BMO, quoique scandaleux, n'a pas vraiment à nous surprendre étant donné qu'il s'agit d'un individu qui se dédie, de façon privée, à acquérir du pouvoir en faisant de l'argent et à se servir de son pouvoir pour faire plus d'argent. Ceci constitue la raison d'être d'un homme d'affaire et c'est pour cette raison qu'il est important que l'État dispose des mécanismes légaux pour limiter leur voracité.

Pour ce qui est de la signification de l'éducation publique pour la société québécoise, rappelons que l'existence de collèges privés de quelconque niveau que ce soit nous met sans cesse devant le fait accompli que nous avons échoué dans la laïcisation de notre système scolaire qui avait pour but, lui aussi, de nous rendre plus riches en tant que collectivité.

En acceptant que l'éducation aie un coût, une valeur quantifiable, on accepte implicitement les inégalités sociales car, même si tu dis qu'il y a des familles modestes qui ont envoyés leurs enfants à ton ancienne école secondaire, il est clair que la majorité de la population n'a pas les moyens d'investir 3000 dollars par an pour envoyer un seul de leurs enfants dans cette institution ultra-conservatrice. Maintenant, si ces familles modestes réussissent à en envoyer un, pourront-elles en envoyer un deuxième?

L'affirmation selon laquelle « le nivellement par le bas c'est indéfendable » est souvent employé pour soutenir des positions élitistes. Dans ce cas-ci, tu affirmes que « Notre-Dame demeure une des meilleures institutions d'éducation ». Ici, j'ai de sérieux doutes sur la véracité de tels propos et encore plus lorsque tu mentionnes ta source.

Le palmarès annuel de la revue L'Actualité est probablement la dernière référence à laquelle j'aurais recours pour choisir l'école de mes futurs enfants. Je ne sais pas si tu as remarqué, mais il faut lire jusque très bas dans la liste pour y trouver le nom d'une école publique francophone (numéro 45, École secondaire Marcellin-Champagnat). Pour n'avoir fréquenté que des écoles publiques durant toute ma vie, j'ai vraiment de sérieux doutes sur l'objectivité de leur palmarès. De toute façon, le simple fait de publier ce genre de palmarès représente un refus catégorique d'aspirer à une société dans laquelle tous les membres bénéficient de chances égales.

Ici, je ne parle pas de nivellement par le bas, parce que j'ai de sérieux doutes sur la supériorité des écoles privées, dont Notre-Dame, sur les écoles publiques. Je parle du devoir des institutions les plus importantes de notre société, comme Hydro-Québec, d'établir comme priorité l'enrichissement collectif plutôt qu'individuel. Cependant, il faut dire que l'école publique que j'ai fréquentée a déjà occupé le dernier rang de ce palmarès, alors peut-être que c'est moi qui s'est fait lavé le cerveau.

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